Rien de tout cela n’était censé arriver. Elle avait été déterminée, forte. Ses menaces n’avaient pourtant rien fait pour l’aider. Ses menaces n’avaient donc rien fait pour le repousser ? Pour lui enlever cet idée de la tuer, de l’enlever du chemin. Elle s’était dite protectrice de ce monde. Aqua allait le rester. Elle allait le rester aux dépens de sa vie. Cet homme en noir n’allait rien lui dicter. Ces hommes en noir n’allaient pas avoir le dernier mot. Non, elle se le refuse. Mais tout s’était passé si rapidement… Elle n’avait rien vu venir. Il y avait eu ce regard énigmatique que l’homme lui lançait dans sa faiblesse, puis ses paroles, toujours aussi noires aux yeux de la Maître de la Keyblade. Puis, il y eut la fin ; elle se sent trébucher, tomber violemment par une carte s’enlevant rapidement de sous son pied. Son cœur saute un battement, ses yeux s’écarquillent alors qu’elle se sent aspirée par le portail dans lequel elle est soudainement lancée, comme des mains qui la prennent et qui l’attirent avec une force ténébreuse qu’elle sent au plus profond de son corps. La jeune femme n’a que le temps de suffoquer, de regarder le trou qui s’éloigne, de tendre une main vers celui-ci, vulnérable.

« NOO ! »

Les ténèbres. Elle les sent, dans tout le corridor obscur dans lequel elle plonge. Elle a le réflexe salvateur de serrer sa main durement en poing et de frapper son bras ; son armure se matérialise. Elle doit sortir d’ici avant d’être trop loin ! Ven en dépendait. Ven… Elle l’avait entendu. Elle ne peut le laisser tomber, non, pas maintenant !

« I won’t let that happen.. I can’t! »

v.f. : Je ne vais pas laisser ça arriver... Je ne peux pas !

Aqua laisse sa Keyblade voler à ses côtés tandis que celle de son maître disparaît, alors qu’elle invoque à elle les pouvoirs de sa Keyblade et qu’elle se transforme irrévocablement en sa forme de Keyblade Glider, qu’elle monde et qu’elle active, se frayant habilement un chemin hors du couloir ténébreux, de retour dans le Lanes Between. Elle sort son Wayfinder et le fixe.

« Hold on, Ven, I’m coming. »

v.f. : Tiens bon, Ven, j'arrive.

Les mondes défilent devant son regard déterminé, désespéré. Elle se rapproche de son but. Elle se rapproche de lui, de plus en plus. Elle arrive en moins de temps qu’elle l’aurait cru, ouvrant le portail menant au monde et y arrivant. Elle saute de sa Keyblade, qui se rematérialise dans sa forme originelle dans sa main, tandis que son armure disparaît à son tour. Son regard perce le manoir. Autour, aucun signe de l’homme en noir ; il avait dû quitter, pour tenter de la rejoindre, de lui mettre une embuscade. S’il croyait réellement qu’elle allait se laisser faire de la sorte. Non. Ven est son seul objectif. Elle avance.

Elle ouvre les grandes portes du manoir, se fraye un chemin dans ces couloirs vides, immaculés. Un blanc constant. Un sentiment étrange s’empare d’elle. Quelqu’un avait-il osé pénétrer dans ces lieux ? Jamais ne pourrait-elle réellement le savoir. Dans ses mains était serré son Wayfinder, qu’elle tient avec elle, près de son cœur, comme si par ce pouvoir infime qu’il donnait, elle pouvait revoir un courage propre revenir. Comme une lumière qui brillait au loin, qu’elle ne devait qu’approcher, qu’entrevoir.

Elle entre. La salle semble pousser d’une infime pulsion. Une pulsion donnée par l’éclat de lumière. Il pulse sur les murs et donne une certaine luminosité, présente, tremblante et vacillante. Ses yeux se posent sur le trône, qui lui fait dos et ne fait qu’entrevoir son ultime grandeur, sa blancheur nacrée. Elle fait un pas, presque vacillant, se remémorant son passé, cette salle qu’elle avait quitté. Comme si c’était hier. Son cœur saute un battement. Elle avance. Son pas est plus lent. Plus lent jusqu’à ce qu’elle ne puisse voir cette silhouette tant connue. Cette silhouette toujours endormie. Avec cette lumière qui semble émaner de lui. Douce lumière si connue. Si douce. Sa main frôle la sienne alors qu’elle lui fait face, alors que, comme une mère, elle le contemple et le regarde dormir. Si paisible. Comme si le pire malheur du monde ne pouvait le déranger. Elle serre vainement sa main, d’une pression douce et presqu’inexistante et soupire doucement. Jusqu’à ce que, subitement, ses paupières tremblent. Elle recule, constatant ce fait, et semble l’examiner. L’éclat de ses yeux bleutés s’anime alors. Les siens semblent plonger dans cet océan profond. Ce regard. Et ses lèvres qui balbutient qu’une seule chose.

Cette voix. Cette petite voix, aussi faible avait-elle pu être. Ce simple mot de ses lèvres rosées, malgré ce ton rauque. Malgré tout ce qui pouvait alors le rendre aussi fragile qu’il l’était. Cette voix qui était tellement familière. Cette voix salvatrice, celle qu’elle avait si longtemps voulu entendre tinter une nouvelle fois. La même voix qui de loin l’avait sortie de son malheur, de ce monde de noirceur irréfutable dans laquelle elle n’avait cessé de s’enfoncer. Elle sent en elle monter un sentiment d’allégresse, de béatitude. Un sentiment profond nouait sa gorge. Ses mains se mettent à trembloter. Elle les serre un bref instant, sentant ce même sentiment profond l’envahir de toute part, l’empêchant alors de dire quoi que ce soit, l’empêchant même de bouger ne serait-ce que quelques instants, ces quelques instants où elle semble figée. Ses yeux s’humidifient, son regard semble même changer, alors qu’elle paraît inapte à se tenir debout. Elle semble sourire, seulement à voir ces yeux expressifs qui lui avaient tant manqué. Et alors, comme si ses genoux la lâchent d’une manière des plus téméraires qu’il put y être, son cœur explosant dans sa poitrine, sa main droite, toujours tremblante, frôle la joue du jeune homme, de cette même manière, douce, maternelle. Un sourire de ses lèvres frêles et tremblantes. De sa gorge serrée, elle murmure, car tout ce qui peut en sortir n’est qu’un souffle à peine audible, se répercutant entre les murs immaculés.

« Ven… »

Les larmes coulent sur ses joues tandis que son sourire semble laisser place à un visage torturé par une douleur vive, la douleur du cœur ou peut-être du simple manque. Il faisait si longtemps. Si longtemps. Trop longtemps, beaucoup trop pour que ce soit même soutenable. Il lui avait tellement manqué. Sa lumière, si pure, si sincère. Il faisait bon d’ainsi la retrouver. Et ne fut-ce que ce moment ne dura que quelques fractions de seconde, où ses yeux se perdirent dans les siens qui n’avaient que trop gardé cette expression, cette vie qui l’avait alors habité, elle se laisse emporter par les moindres de ses sentiments et l’enlace, secouée de larmes amères.

Peut-être avait-ce seulement été cette profonde plaie à la suite de son absence, peut-être seulement par le trouble qu’avait causé sa pseudo apparition. Se remémorer ce visage aussi troublé avait de quoi effarer. Qu’importe. Tout ce qui importait, au moment présent, c’était qu’il était là. Qu’il s’était réveillé. Qu’il allait bien. Oui. C’est tout ce qui importait.

Et seulement la vision de son regard lui redonne du courage, lui enlève ce poids qu’elle avait eu pendant dix ans. Le poids de ne plus les voir, d’être laissée à elle-même, de se faire ensevelir, petit à petit, dans un monde de ténèbres où la porte ne voulait pas s’ouvrir. Ventus l’avait sauvé. Ventus avait été cette source d’espoir qui l’avait amené à sortir, à venir le chercher. Il avait été son salut. Et maintenant, elle lui redonnait la pareille, la promesse faite il y a si longtemps, déjà. Cette promesse que jamais elle n’avait pu oublier. Et d’entendre sa voix une nouvelle fois, de le voir, malgré tout ce qui habite cette salle remplie de souvenirs douloureux, elle ne peut que ressentir la joie de le voir là, de le voir en sûreté, réveillé. Vivant.

« You are, Ven… You are. I’ve missed you. »

v.f. : Tu l’es, Ven… Tu l’es. Tu m’as manqué.

Son sourire dépeint sa tristesse autant que sa joie. Seulement de revoir ce regard, le regard qu’ils se lancent, partagé. Et il y a tant de choses qui passent dans ces regards. Tant de choses qui ont été oublié. Des souvenirs. Et une nouvelle fois, elle se tenait avec lui alors qu’il se réveillait. Oui. Comme la dernière fois où, dans ce même endroit, elle était sortie de la chambre, grand sourire aux lèvres, soulagée qu’il se réveille enfin. Soulagée de voir qu’ils pouvaient aller vers un monde nouveau ; quelque-chose de plus grand que seulement elle et Terra. Le début d’une amitié plus forte que tout. Entre elle et ces deux-là. Cette journée où le maître et Terra étaient rentrés dans la chambre du jeune homme et l’avaient tous regardé avec de vrais sourires, des sourires réels. Et Ven de parler une nouvelle fois.

Terra… Elle se redresse, serrant de plus belle la main de son protégé, le regard toujours en larmes face à de sombres pensées, face à ce regard interrogateur, ce visage si doux, mais si… faible. Dormir des années. Tant de choses écoulées dans l’espace d’une seconde, sans rien savoir, sans rien voir. Ventus se réveillait dans un monde désastreux, après tout ce qui leur était arrivé. N’avaient-ils pas tenté de garder cette partie, la seule partie qui leur restait ? N’avaient-ils pas tous juré que rien ne les séparerait jamais ? Où en étaient-ils ?

Dix ans. Dix ans, et cette question brûle leurs lèvres et laisse dans leur cœur ce sentiment prenant de doute, d’inquiétude. Comme elle aurait aimé savoir la réponse à cette question. Comme elle aurait aimé pouvoir répondre, dire qu’il allait bien, dire que tout s’arrangerait. N’avait-elle pas promis qu’elle reviendrait avec lui ? Lui… Son sourire laisse un poids amer dans son cœur, une pluie douce s’écoulant. De ce même cœur, meurtri par une lumière pour laquelle elle avait si longtemps désiré retrouver, dans un monde plongé dans les plus profondes ténèbres, dans les méandres et les corridors – rien de plus que des créatures sombres. Et combien de fois avait-elle pensé quitter, sombrer dans ces mêmes ténèbres, devenir une partie d’eux ? Non, cet espoir de revoir cette lumière l’avait toujours animé. Et la simple mention du nom de Terra de lui donner ce sentiment profond de manque, d’amertume, de désespoir face à ce futur qui avançait vers eux.

« If only I knew it myself… »

v.f. : Si seulement je le savais moi-même…

Ses yeux se ferment, la main qui avait pris place sur le visage de Ventus se pose sur le dessus de la main qu’elle serre déjà, comme pour resserrer la poigne. La douleur qu’elle ressent seulement en disant ses paroles est palpable. Tant de choses avait entendu la Maître de la Keyblade dans sa venue ici. Tant de choses avait-elle vécu. L’image de ce Ventus en manteau noir accompagné de leur Némésis la suit et la hante. Que s’était-il réellement passé pendant dix longues années ? Était-ce vraiment le cas ? L’homme mentait-il pour la faire réagir ? Et tout ce qu’il avait dit à propos de Terra… Tant de choses venaient à son esprit. Tant de choses venaient comme un violent ouragan.

« Oh, Ven… We’ve been away longer than I expected. »

v.f. : Oh, Ven… Nous avons été absents plus longtemps que je l’avais prévu.

Elle relève le regard, croise son petit sourire et garde le visage sérieux, solennel. Et ils sont là, deux morts s’éveillant après de nombreuses années, dans un monde totalement changé. Deux morts qui ne demandent que d’être sauvé de la terreur qui pourrait suivre. Étaient-ils prêts pour la tempête ?

Comment le dire ? Peut-elle même verbaliser une telle chose ? Que s’était-il vraiment passé ? Elle se souvient de la voix du roi Mickey, vaillant, l’aidant à combattre Vanitas, revenu dans son corps originel, tentant d’anéantir son ami à même son esprit, à même le plus profond de sa tête. Ventus aurait bien pu en finir. Pourtant, ce regain de courage n’avait été dû qu’au roi. Elle s’était sentie faillir à un moment critique ; s’était laissée emporter dans l’abîme du Rêve avant d’en ressortir, toujours vivante. L’Explosion. La Fin. Et le noir. Pour se réveiller une nouvelle fois, pour constater que lui ne se réveillerait pas comme elle. Pas en même temps. Que son cœur était disparu – telles avaient été les paroles du Maître Yen Sid à ce sujet. Et de là était partie sa conviction de le réveiller, de le protéger. De le soutenir, avec l’aide de tous ceux à qui il comptait. Tous ses amis. Redonner la force de revenir. Redonner la force de retrouver son chemin dans un étang de noirceur. Et alors ? Alors… Il y avait eu cette promesse. Celle de revenir avec Terra. Cette promesse qu’elle n’avait pu tenir. Terra. La dernière image de lui. Ces yeux scindant de doré, ces cheveux blanchâtres. Ce regard vide, absent, se tordant pour se remémorer quoi que ce soit. Cette voix… Si… Différente. Et cette bataille, où, au plus profond de son cœur elle avait combattu avec lui. Où elle avait cru gagner contre Xehanort. Où elle avait cru pouvoir sauver le cœur de son ami… Avant qu’il ne sombre. Elle s’était sacrifiée. S’était jetée dans les ténèbres en vue de le protéger de son pire ennemi. En vue de se sacrifier à sa place. Sans rien oublier. Cherchant désespérément une porte de sortie. N’importe quelle porte qui aurait pu l’amener à quitter ce monde maudit. Son regard porte cette touche mélancolique.

« Ten years. »

v.f. : Dix ans…

En vain. Jusqu’à ce jour. Tant de choses s’étaient passées. Mais pouvait-elle vraiment se fier à cet homme, devait-elle faire de l'horométrie en mesure de voir, d'être certaine ? Entre ce faux Ventus si perdu. Accompagné d’un de leurs bourreaux, celui qui aurait pu facilement causer sa perte. Puis un autre portant le même manteau. Une journée qui aurait pu mieux se passer. Une journée loin d’être terminée. Il y avait encore beaucoup trop de choses à voir, trop de choses à comprendre. Il y avait Terra à retrouver, il y avait un passé à se remémorer. Ventus… Tant de choses s’étaient passées. Trop de choses pour qu’elle puisse les dénombrer, les compter, tout ressasser, déchromiser, ramener et recoller. Prise pendant tant d’années dans un monde où la lumière n’existait pas. Dans un monde où chaque jour elle avait lutté contre les Heartless pour ne pas succomber aux Ténèbres. Tant de jours. Pour enfin entendre cette voix. Encore une fois, Ventus l’avait sorti...

L’avait sauvé. Elle soupire, sent sa main la pousser doucement et elle obtempère, se relève, son regard de tanzanite toujours figé dans le sien, ce même regard qu’elle n’oublie pas et qui rappelle tant de souvenirs. Si vivant. Il tremble sous l’effort, elle le voit, mais n’en fait rien, le laisse tenter de se relever, une main près de lui, au cas. Juste au cas, tandis qu’il s’appuie sur la grande chaise immaculée. Elle recule encore un peu, se tenant toujours près, alors que lui se tient debout ; son visage concentré. Elle voit ses genoux trembler alors qu’il tente de faire un pas, trembler encore avant de vaciller ; il titube pour tomber, et elle, mouvement protecteur, approche sa main de lui, un petit « Ven ! » sortant de ses lèvres par la même occasion, alors que pour sa part, il lui tend une main pour l’empêcher de faire quoi que ce soit. Son regard se voit teinté d’une touche inquiète, maternelle ; quoi de plus normal après tout ce temps ? Elle écoute ses parole, se ravise, reprend sa main, les sourcils froncés. Son visage inquiet décroche un sourire à son ami, qui, pour sa part, semble plus plein de vie que jamais.

Ven. Après tant de temps, il faisait du bien de le revoir sourire. De le revoir plein de vie, comme il faisait en ce moment. D’assister à nouveau à son optimisme. Oh, comme cette preuve de vie lui avait manqué. Autant que ce sourire, que cette voix joyeuse, que ces intonations même. De ces mouvements innocents – ce pouce qu’il tendait pour dire que tout allait bien – alors qu’il se relevait, encore un peu tremblotant, mais bien debout, capable de marcher, quelques pas. Et un nouveau commentaire qui recolle un sourire sur les lèvres de la Maître. Aqua pose une main sur sa bouche, ce sourire aux lèvres, un petit rire accompagnant ces yeux pétillants. Son cœur venait de reprendre de ce soutien dont elle avait eu besoin. Cette présence rassurante. Ventus venait doucement remettre en place cette roue d’espoir qui avait eu tant de mal à se réactiver. Ils pourraient enfin se sortir de ces mâchoires maxilleuses. Elle prend sa main alors qu'il lui tend, sourire maternel aux lèvres.

« Of course. Why shouldn’t I? »

v.f. : Bien sûr. Pourquoi ne le devrais-je pas ?

Le sourire passe. Le sourire passe et laisse sa place à de plus sombres pensées. À une nouvelle mission. Le regard sérieux de Ventus ramène la jeune femme vers une nouvelle voie. Vers un autre visage. Elle soupire, serre la main de Ventus. Elle doute de sa réaction face à ce qu’était devenu le Land of Departure, doute de la façon dont il réagira, alors qu’ils doivent faire face à un problème tout autre que celui qu’ils avaient dû faire face, il y a de cela dix ans. Cet espoir de retrouver ce qu’ils avaient tous deux perdu… Cet espoir resterait. Resterait jusqu’à ce qu’ils puissent, ensemble, trouver la fin de ce mystère et élucider tout ce qui restait flou.

Elle avait tant de choses à lui dire. Tant de choses à raconter. Ils avaient tant de choses à rattraper. Tant de temps perdu à retrouver.